Article reproduit par Nanou avec l'aimable autorisation du journal Le Quotidien

Le Quotidien de la Réunion du Vendredi 12 mai 2006

Le sang humain taxé à 5%

 

 Le sang humain importé à la Réunion depuis le début de l’épidémie du chikungunya est considéré comme une vulgaire marchandise. Il est taxé de 5% d’octroi de mer sur la base de 167,97 euros la poche. Trois élus de droite de la Région ont réclamé mardi son exonération, suite à une demande de l’Etablissement français du sang qui juge la taxe «éthiquement contestable».

 

 

Au même titre qu’une vulgaire boîte de conserve ou un paquet de lessive, le sang humain importé à la Réunion est assujetti à l’octroi de mer. Le taux de la taxe est de 5% (droit additionnel compris) et il s’applique sur chaque poche de sang qui entre dans l’île. 

Cette surprenante découverte, c’est l’Etablissement français du sang (EFS) qui l’a faite en début d’année quand les douanes lui ont présenté la facture des frais générés par l’importation des poches de sang de métropole. 

Depuis le 23 janvier dernier, plus une goutte de sang n’est collectée en effet dans l’île en raison de l’épidémie de chikungunya, ceci «afin d’assurer la sécurité sanitaire des Réunionnais», selon le directeur de l’EFS, le Dr Patrice Rasonglès. 

Pour que les hôpitaux ne manquent pas de sang, l’EFS Réunion s’est donc retourné vers l’EFS Nord de France (Lille) pour s’approvisionner. Environ 400 poches de sang arrivent ainsi chaque semaine par avion depuis fin janvier. Seul hic, l’EFS ignorait que dans la nomenclature douanière, le sang humain est logé à la même enseigne que n’importe quelle autre marchandise importée dans le département. Il est frappé de la TVA (perçue par l’Etat mais récupérable) et de l’octroi de mer, perçu par le Conseil régional. Ces taxes sont payées par l’importateur et s’appliquent sur le prix CAF (coût assurance fret), c’est à dire sur le prix du produit à son arrivée dans l’île, assurance et transport compris. 

Comment les douanes calculent-elles le montant de la taxe sur un produit donné gratuitement par des généreux bénévoles ? En réalité, «si le don de sang est gratuit, sa transformation, son contrôle et son conditionnement jusqu’à la transfusion, ont un coût", explique le Dr Rasonglès. C’est le gouvernement qui le détermine par arrêté ministériel. Le dernier tarif connu des produits sanguins remonte à juin 2004 et établit le prix de la poche de sang (correspondant à un don, soit environ un demi-litre) à 167,97 Euros ! C’est donc sur cette base que la taxe de 5% est appliquée par les douanes qui reversent ensuite le montant à la Région. 

44.000 euros d’octroi de mer

 C’est aussi le tarif que l’EFS facture aux hôpitaux lorsqu’ils s’approvisionnent auprès de lui, à charge pour eux de se faire rembourser par l’assurance maladie, les produits sanguins étant exonérés du ticket modérateur. 

Les recettes tirées de la vente permettent à l’EFS d’assurer son fonctionnement, en particulier de faire face aux frais de collecte. 

Depuis le début de l’année, l’EFS a importé environ 6.000 poches de sang dans l’île pour un coût de 867.000 Euros. Il a dû payer, en plus, 44.000 Euros au titre de l’octroi de mer. 

Le 6 février dernier, le secrétaire général de l’EFS, Claude Moutouallaguin, a écrit au directeur régional des douanes pour solliciter «l’exonération de l’octroi de mer pour les produits sanguins nécessaires aux soins des Réunionnais». Il rappelait que l’EFS est un EPIC (Etablissement public industriel et commercial) et qu’une telle exonération «diminuerait de manière conséquente les charges» de l’établissement. Consulté par le directeur des douanes, le conseil régional a rejeté la demande le 9 mars dernier. 

«Il ne peut être donné une suite favorable dans la mesure où le régime d’exonération à l’introduction des marchandises, défini par la délibération du conseil régional du 19 octobre 2004, concerne essentiellement les entreprises de production et exclut du bénéfice de l’exonération de la taxe les opérations réalisées notamment par les établissements publics», écrit le directeur général des services, Houssen Amode, au nom du président.
 

Vergès veut une «décision urgente»
 

Ne se satisfaisant pas de cette réponse, le directeur de l’EFS, le Dr Patrice Rasonglès, a adressé personnellement un courrier à Paul Vergès, le 14 avril, pour solliciter un rendez-vous. Il demandait l’exonération des produits sanguins et aussi des divers matériels de prélèvement sophistiqués, acquis récemment par l’EFS suite à l’épidémie de chikungunya. 

Le Dr Rasonglès explique, par ailleurs, que l’EFS procédera, dès la prochaine reprise des dons du sang dans l’île, «à l’acquisition de nouveaux automates de laboratoire d’un coût élevé», ainsi que «des réactifs et divers consommables extrêmement coûteux» pour maintenir un haut niveau de sécurité sanitaire». 

Pour le directeur de l’EFS, l’application de l’octroi de mer sur les importations de l’EFS, est «éthiquement contestable» au vu du «caractère exceptionnel de la situation» et de «la nature de service public de l’activité transfusionnelle». 

La lettre restera sans suite malgré des appels téléphoniques répétés à la Région. Et il aura fallu que mardi dernier trois élus d’opposition du groupe UFR  - Thierry Sam Chit Chong, Alain Bénard et Roland Hoarau – se saisissent du dossier pour que la demande soit enfin examinée. 

Reprenant mot à mot les termes du courrier du Dr Rasonglès, la motion des trois élus réclame «l’exonération de la taxe d’octroi de mer sur les poches de sang importées et sur les équipements sanitaires destinés aux prélèvements». 

Le texte a été renvoyé en commission pour avis, Paul Vergès insistant toutefois sur la nécessité d’une «décision urgente». La question devrait être réexaminée mardi prochain en commission permanente. 

Contactée hier, la Région laisse entendre qu’il s’agit plus d’une question de forme que de fond, soulignant que les quelques dizaines de milliers d’euros perçues sur l’importation des poches de sang ne représentent qu’une infime partie des recettes de l’octroi de mer dont 90% sont d’ailleurs reversées aux communes. Mais elle demande à voir si ce type d’exonération est possible au vu de la délibération d’octobre 2004 et jure qu’elle examinera avec la plus grande attention ce dossier. 

Seule certitude aujourd’hui : à la Guadeloupe et à la Martinique, l’importation du sang est exonéré de l’octroi de mer depuis des années.  
 

Idriss ISSA  

L’exemple antillais 

Preuve de la générosité des Réunionnais, l’Etablissement français du sang de l’île n’a jamais eu recours, jusqu’à cette année, à l’importation de poches de sang. Les collectes organisées localement suffisent largement à satisfaire la demande des hôpitaux. Ce qui n’est pas le cas des Antilles où les poches de sang doivent être importées de métropole. 

La question de l’octroi de mer s’est donc posée là-bas il y a longtemps déjà et les conseils régionaux de la Martinique et de la Guadeloupe ont vite pris la mesure de la situation en exonérant de cette taxe, non seulement les poches de sang, mais aussi des matériels médicaux destinés à l’EFS (réactifs de laboratoires, centrifugeuses, microscopes, etc.). 

C’est le 15 juin 1996, en assemblée plénière, que le conseil régional de la Guadeloupe a décidé l’exonération de l’octroi de mer sur le sang importé ainsi que les matériels de prélèvements et de dialyse. 

Dans sa lettre à Paul Vergès, le directeur local de l’EFS, Patrice Rasonglès, a joint la copie de cette délibération et rappelé que la loi du 2 juillet 2004 dans son article 6, permet à la Région Réunion d’exonérer, elle aussi, pour tout ou partie, les droits d’octroi de mer sur les différents produits et matériels importés par l’EFS. Réponse de la Région : mardi prochain. 
 

A la pointe de la recherche 

Si depuis fin janvier les collectes de sang sont suspendues à la Réunion, il n’en est pas de même des plaquettes qui continuent à être prélevées par l’EFS. Qu’on se rassure, tout est fait pour traquer d’éventuels virus (sida, hépatite B et C) et microbes dans le sang des donneurs.     

L’EFS a même rajouté un test pour détecter le virus chikungunya. 

Le 15 février dernier, la sécurité des transfusions a encore été renforcée par un procédé inédit en France. Il s’agit d’une technique d’«inactivation virale et bactérienne» qui empêche la réplication non seulement du chikungunya mais d’autres virus (dengue, westnile, sras, etc.), bactéries et autres parasites. Il supprime ainsi la fenêtre sérologique, période pendant laquelle un donneur peut être porteur d’un virus sans être détecté positif. Un des inconvénients de la méthode est son coût : 50% plus élevé que la technique classique. Ce qui oblige l’EFS à gérer encore mieux son budget afin d’éviter qu’il soit grevé par des dépenses imprévues. A commencer par l’octroi de mer. 

Preuve du dynamisme de l’EFS Réunion, il vient également d’ouvrir en février une banque ultramoderne de cellules et tissus à Saint-Pierre – une des quinze existant en France -. Y sont conservés des produits tels que cornées, os, valves cardiaques, etc. Ce qui devrait permettre, dans l’avenir, aux malades réunionnais de subir localement certaines greffes sans être contraints de se rendre en métropole.